Non, le Sénégal n’a pas interdit aux libanaises d’accoucher sur son territoire

La vidéo qui prétend qu’une loi interdit aux femmes libanaises d’accoucher au Sénégal est sortie de son contexte.

Une vidéo publiée sur les réseaux sociaux indique que le Sénégal a interdit aux Libanaises d’accoucher sur son territoire. 

La vidéo a été publiée par l’influenceur Zack Mwekassa sur sa chaîne Youtube le  5 novembre 2024.

Capture d’écran de la vidéo

Selon ce dernier, l’Etat sénégalais aurait interdit aux femmes libanaises d’accoucher sur le territoire. 

La vidéo de 12 minutes 31 secondes commence avec l’intervention d’un homme qui déclare devant des micros: « interdiction formelle aux femmes libanaises d’enfanter et d’accoucher au Sénégal de la même manière qu’il est interdit aux femmes noires de le faire au Liban ». Zack Mwekassa soutient que les Libanais ont une loi non écrite qui ne permet pas aux Africaines de faire des bébés au Liban. Il parle du mauvais traitement réservé aux femmes noires qui vont travailler comme ménagères dans les pays du Moyen-Orient dont le Liban. Mais dès qu’elles tombent enceintes, elles doivent rejoindre leurs pays ou se rendre ailleurs pour accoucher avant de revenir au Liban. Son message est illustré avec des images et interviews de certaines femmes et hommes qui parlent des mauvais traitements réservés aux Africains au Liban. Zack Mwekassa ajoute qu’en retour, les Libanais sont bien traités dans beaucoup de pays africains et disposent parfois même de leurs propres quartiers, hôpitaux, structures religieuses et écoles. Ce qui n’est pas le cas pour les Africains au Liban. 

La vidéo atteint 346 853 vues, 15 000 j’aimes et 3 653 commentaires, à la date du 15 janvier 2025. 

Elle a été republiée sur la page Facebook de l’influenceur à la même date et récolte 99 000 vues, 484 commentaires et plus de 4 200 mentions j’aime, également au 15 janvier 2025. 

Cependant, cette déclaration est fausse. Les autorités sénégalaises n’ont adopté aucune loi interdisant l’accouchement des femmes libanaises au Sénégal. 

Vérifications

Nous avons écrit à l’influenceur le 20 novembre 2024 via sa page Facebook mais sans réponse.

Sur Facebook, Zack Mwekassa se présente comme un penseur, un conférencier, un écrivain, un éducateur, un businessman, un champion du monde de boxe et de kick boxing et un ingénieur électrique.

Sa page a été créée le 29 mars 2015 et compte plus de 2,4 millions d’abonnés. Quant à sa chaîne Youtube, elle est active depuis le 19 janvier 2013 et rassemble 1,14 millions d’abonnés. 

Vidéo hors contexte

Une recherche d’image inversée dans Google Lens avec une capture d’écran de la séquence contenant la déclaration de l’homme qui parlait devant des micros a permis de retrouver une version plus longue de sa vidéo. Elle a été publiée le 31 octobre 2024 sur Youtube par SENETIMES et dure 1 minute 19 secondes. Elle est titrée: “Interdiction formelle aux femmes libanaises d’enfanter et d’accoucher au Sénégal, Tahirou Sarr”. 

Capture d’écran de la vidéo publiée sur Youtube

Une autre recherche par mots clés a conduit vers des articles en ligne publiés par des sites sénégalais qui montrent que cette déclaration émane du candidat du Mouvement Nationaliste Sénégalais, Tahirou Sarr. Ce dernier présentait lors d’un point de presse son programme dans lequel il souhaitait introduire une loi interdisant aux femmes libanaises d’accoucher au Sénégal.

Le site Depeche Afrique rapporte, dans un article publié le 24 octobre 2024, que Tahirou Sarr envisage de protéger les droits des Sénégalais. La tête de liste du Mouvement Nationaliste Sénégalais aux élections législatives du 17 novembre 2024 défend un projet qui interdira aux Libanaises d’accoucher au Sénégal.     

Tahirou Sarr a promis, dans son discours fait en français et en Wolof, de défendre un projet de loi à l’Assemblée nationale. Ce projet interdira aux Libanaises d’accoucher au Sénégal, comme cela se pratique au Liban.

La séquence a été publiée de nombreuses fois sur les réseaux sociaux, notamment sur Tiktok, sur Facebook, sur Instagram et sur Youtube 

Capture d’écran d’une publication sur Tiktok

Cette déclaration a été reprise en article et publiée le 11 novembre 2024 par les sites d’informations Nouvelle d’Afrique et KingoNews. D’après ces sites, les autorités sénégalaises ont promulgué une interdiction formelle pour les femmes libanaises de donner naissance au Sénégal. La décision ferait suite à l’interdiction récente du gouvernement libanais aux femmes noires d’accoucher sur leur sol.   

Mais il s’agissait d’un extrait de discours du candidat Tahirou Sarr qui est sorti de son contexte. Ce programme de campagne avait été par ailleurs mal accueilli par Ousmane SONKO alors candidat du Pastef (parti au pouvoir) aux élections législatives.

Lors de son meeting dans la ville Guédiawaye, ce dernier s’était prononcé sur le discours nationaliste tenu par le candidat Tahirou SARR. Selon lui, ce discours est dangereux et ne fera pas avancer le pays. Il a précisé que le Sénégal est un pays d’ouverture, d’hospitalité et de tolérance.

Existe-t-il réellement une loi au Liban interdisant aux femmes noires d’accoucher ?

D’après nos recherches, il n’existe aucune loi au Liban interdisant aux femmes noires d’accoucher dans ce pays. 

Cependant un article publié le 18 novembre 2021 par Onu Info sur son site rapporte que les travailleuses migrantes de différentes nationalités au Liban sont confrontées à de nombreux défis.

Capture d’écran de l’article publié sur ONU Info

Beaucoup continuent d’être soumises au « système de kafala », ou système de parrainage, qui les met à la merci de leurs employeurs.

Elles sont privées de leurs droits les plus élémentaires et souffrent de divers types de discrimination de genre et de classe. Elles travaillent dans des conditions dans lesquelles leurs droits humains les plus élémentaires ne sont pas respectés. Il s’agit notamment du droit de travailler pendant des heures spécifiques et de celui de conserver des documents importants tels qu’un passeport ou une carte de séjour. Le droit au repos et à la circulation ; le droit de communiquer avec ses amis et sa famille et de profiter d’autres libertés individuelles, sont également concernés. 

Selon le groupe de réflexion américain spécialisé dans la politique étrangère des États-Unis et les relations internationales, Council on Foreign Relations (CFR), le système de kafala est un cadre juridique. Il définit depuis des décennies les relations entre les travailleurs migrants et leurs employeurs en Jordanie, au Liban et dans tous les États arabes du Golfe, à l’exception de l’Irak. Le système de kafala, ou parrainage, définit la relation entre les travailleurs étrangers et leur parrain local, ou kafeel, qui est généralement leur employeur. 

Selon le média français France Info, des Africains ayant émigré au Liban pour trouver un emploi sont victimes de racisme.

Capture d’écran de l’article publié par France Info

Mais la loi libanaise ne condamnant pas expressément la ségrégation raciale, il est quasiment impossible de porter plainte.

Le quotidien français Le Monde rapportait dans un article que les bonnes étrangères n’ont plus le droit de se marier, ni d’entretenir une relation amoureuse. Les familles qui les emploient sont tenues de surveiller leurs fréquentations.

S’il est vrai que des femmes noires subissent des abus et des discriminations au Liban, rien ne prouve qu’il existe une loi qui leur interdit d’accoucher sur ce sol. Cette information a été donc déformée et n’est fondée sur aucune base juridique.

En clair, la vidéo qui prétend qu’une loi interdit aux femmes libanaises d’accoucher au Sénégal est sortie de son contexte. Il s’agit simplement d’un programme de campagne présenté par Tahirou Sarr, le candidat aux élections législatives de 2024 au Sénégal.

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